Compte-rendu de lecture du livre de René Boisramé et Noël Andréucci, Jean de Herdt: le premier entre tous les judokas, Budo-éditions, 2018, 224 p.
La dévotion du disciple à un personnage fut-il charismatique donne-t-elle le droit de réécrire l’histoire? Rendre compte du passé implique de suivre une méthode faite de rigueur que l’historien affiche autant dans l’identification, la vérification et le croisement des sources que dans un souci permanent d’objectivité. Si on peut accepter les propos des auteurs lorsqu’ils déclarent: « Dans les nombreux récits que maître Jean de Herdt nous fait partager, il arrive que les dates et les lieux soient parfois confus […] cet homme est tout à fait excusable de ne pas avoir une mémoire infaillible », chacun est en droit d’attendre une note de la rédaction [NDLR] corrigeant l’erreur ou l’approximation. Or, il n’en est rien. Il n’a été procédé à aucune vérification, ni des noms de personnes, ni des dates, ni des lieux, ni des faits. Les affirmations sans preuve, sans archive autre que quelques photographies ou documents semblant légitimer le texte ne constituent pas une démonstration, sauf à considérer le lecteur comme une personne totalement ignorante et crédule.
Tout ceci serait sans incidence, s’il n’y avait l’ambition de l’ouvrage de présenter le personnage central comme « le premier d’entre tous les judokas » et la volonté affichée d’offrir un « livre à l’usage des élèves futures ceintures noires en judo et des ceintures noires confirmées » afin de leur faire « connaître et de soumettre à leur esprit de jugement l’histoire du judo des anciens, l’épopée de ceux que l’on appelle les pionniers… » Certes l’histoire est un récit mais celui-ci ne relève pas pour autant de la simple croyance. L’absence totale de distance critique au regard d’un témoignage unique dont on ne mentionne la fragilité que sur la forme sans jamais s’interroger sur le contenu, pose de manière accrue la question de la crédibilité des propos tenus par le témoin principal et rapportés tels quels par les auteurs. Testis unus, testis nullus -témoin unique, témoin nul-. Tant dans le domaine du droit que dans celui de l’historiographie, le témoignage unique appelle à la plus grande prudence. Or, la lecture des archives fait obstacle aux souvenirs évoqués et contredit de trop nombreuses affirmations.
Jean de Herdt s’approprie plusieurs actes fondateurs de l’institutionnalisation du judo en France mais aussi à l’étranger. Ses déclarations appartiennent pour la plupart à l’illusion personnelle et ne résistent en rien à l’analyse historique. A la longue liste de propos inexacts, dont certains semblent relever moins de la simple erreur de jugement que d’une interprétation intéressée voire d’une amnésie coupable, s’ajoute, dans la période complexe du régime de Vichy, une appréciation caricaturale des premiers dirigeants de la FFJJJ. Face aux erreurs, aux accusations implicites, à l’emphase et à l’impudeur de certains paragraphes le rétablissement des faits s’impose comme une nécessité.
Le premier exemple d’affabulation concerne les événements qui se sont déroulés lors des championnats d’Europe de judo à Paris, en 1951. Le 5 décembre, à l’issue de la finale du championnat par équipes remportée par la France 4 à 0 face à l’équipe d’Angleterre, est organisée une compétition en ligne opposant Toshiro Daigo, champion du Japon en titre et les dix meilleurs Français. Dans la revue fédérale, le Bulletin officiel de la fédération française de judo jiu-jitsu, Collège des ceintures noires, Jean Gailhat fait une description précise de chaque affrontement. Daigo bat successivement Pariset (uchi mata), Mallet (harai goshi), Jouan (o soto gari), Collonges (o soto gari), Belaud (immobilisation), Roussel (uki goshi), Zin (uchi mata), Cauquil (o soto otoshi), Verrier (arm-lock). Jean de Herdt est en dixième position. Gailhat écrit: « Il a mis son vieux kimono et sa vieille ceinture fanée des rencontres décisives et il ‘en veut’; si bien qu’il résistera dix minutes tant debout qu’au sol, en crouch, en boule, glissant dans sa veste de kimono sans que Daigo puisse s’assurer une prise suffisante, parvenant même à se dégager d’un début d’immobilisation qui allait s’agrémentant d’une amorce de strangulation. Finalement de Herdt arrache un match nul désespéré. Daigo aura livré au total environ vingt minutes de combat. »
Dans la revue Judo International du 15 janvier 1952, un compte-rendu semblable est publié. Il est signé, et illustré, par celui qui deviendra un célèbre dessinateur de presse, Jacques Faizant. « Pour couronner la victoire de nos champions, on les oppose ensuite à M. Daigo, qui lui, n’est que champion du Japon. Il est évident que cela lui donne un terrible complexe d’infériorité. Avec l’audace des timides, il envoie au tapis ses neufs premiers adversaires. Comme il a mal au poignet (ce que nous ne saurons que le lendemain), il se contente de faire match nul avec de Herdt qui combat accroupi, comme lorsqu’on cherche une chaise avec son postérieur sans regarder derrière soi. »
Les dix minutes d’un combat tactique, sans prise de risque, constituent une belle performance mais nous sommes loin des propos de René Boisramé qui déclare: « Le combat d’anthologie dura plus de vingt minutes et se termina par un match nul sur une égalité de résultats. Pour le Japonais, l’honneur est sauf, mais rentré au Japon, il sera mis au placard: pour les Japonais, il aurait dû se faire seppuku (hara kiri chez nous). Pour Jean, c’est quand même une victoire et le résultat évite que les supporteurs cassent tout car ils étaient venus voir Jean gagner! ». Plus loin, on peut lire: « Jean de Herdt fut capable non seulement de ne pas se faire battre mais aussi de ne pas battre Toshiro Daigo. Ce qui fut le plus difficile à faire. Cette déclaration peut maintenant vous étonner mais l’étiquette et le respect du grade supérieur posait un problème à l’époque ».
En juin 1952, la revue fédérale publie « Un reportage de M. Risei Kano » qui rend compte du déplacement à Paris: « La réunion de ce jour se terminant par une compétition qui mettait aux prises Daigo et les dix meilleures ceintures noires. Sans mentir, je pensais que la compétition se terminerait en cinq minutes environ mais elle dura beaucoup plus longtemps à cause d’adversaires particulièrement forts. Le plus coriace fut de Herdt qui vint en dernier. Daigo qui montrait des signes évidents de fatigue ne put marquer un point et comme le combat risquait de s’éterniser, cela se termina par un match nul. Rien d’étonnant à cela car depuis notre arrivée à Paris nous fûmes la plupart du temps occupés par les invitations. Notre groupe n’est pas une équipe de champions voyageant pour faire des compétitions, mais il a une mission à remplir, aussi, il est naturel que Daigo fût handicapé par le surmenage et le changement de nourriture. L’observation étant pour nous plus importante que les compétitions, je dois dire que nous n’avons aucun regret. » L’affront et la honte de la défaite méritant un sacrifice rituel ne semble pas avoir fait l’objet d’une réflexion quelconque dans la délégation japonaise.
L’outrance se poursuit par la répétition à loisirs d’une affirmation visant à susciter l’admiration du lecteur naïf: « Á la fin de la rencontre, l’ambassadeur Yotaro Sugimuro, 4e Dan, offre au nom du Kodokan les 4e, 5e et 6e Dan à Jean de Herdt. Celui-ci n’accepte que le 4e Dan, pour ne faire de tort à personne et ne pas froisser la diplomatie qui assiste à notre victoire française, bien que le maître Mikinosuke Kawaishi ne s’oppose pas à la montée en grade de notre ami. » Le récit de Jean Gailhat s’en tient à la réalité lorsqu’il conclut le déroulement de la journée du 6 décembre: « De Herdt est nommé 4e dan. Il est 11 heures du soir. » Car il s’agit bien du 4e dan mais du 4e dan seulement. Le grade est remis par Risei Kano, président du Kodokan et de la fédération japonaise de judo. Quant à l’ambassadeur Yotaro Sugimura (et non Sugimuro), il est décédé le 24 mars 1939 -le diplomate, qui était 5e dan, a occupé ce poste du 28 juillet 1938 au 28 décembre 1939-. En décembre 1951, le Japon n’a pas d’ambassadeur en France -le premier ambassadeur de l’après-deuxième guerre mondiale, M. Kumao Nishimura n’est nommé que le 17 juin 1952-.
La revue britannique Judo quaterly bulletin, en janvier 1952, retrace les championnats sous la plume de John Barnes -président de l’Union européenne de judo en 1949-. Ce n’est pas le combat de démonstration de Daigo contre de Herdt qui a retenu l’attention de l’auteur. Ce sont les victoires du champion français contre son homologue anglais, Geoffrey Gleeson qui font l’objet de compliments si clairs qu’ils ne demandent pas de traduction: « The Championships marked a personal triumph for de Herdt. In addition to winning the 3rd Dan and the Open Championships titles, and capitaining the victorious French team, which won the National Competition, he was promoted to 4th Dan by Mr. Kano himself. Congratulations Jean de Herdt ! ».
Rétablir la réalité des faits et relativiser l’affrontement du champion français avec son alter ego japonais ne signifient pas remettre en question ni les qualités du combattant ni contester le mérite qui conduit à l’obtention du grade de 4e dan. A son époque, Jean de Herdt est un compétiteur redouté. Il ne saurait y avoir de doute à ce sujet. Ce qui n’est pas acceptable c’est la déformation outrancière d’une performance certes remarquée mais loin d’être tellement exceptionnelle qu’elle aurait conduit à un accord franco-japonais interdisant à Jean de Herdt la participation à toute rencontre internationale, un accord accepté au prétexte que le président Bonét-Maury « ne veut pas mettre en danger son statut et son grade ».
La critique acerbe contre Paul Bonét-Maury est-elle justifiée? Jugeons-en. Dans le procès-verbal du congrès extraordinaire de la Fédération internationale de judo réuni à Paris le 9 décembre 1952, on peut lire: « M. Bonét-Maury intervient ensuite pour souligner l’urgence de décider si le champion d’Europe de Herdt doit prendre part ou non aux championnats prochains. De Herdt demande en effet de pouvoir défendre son titre comme champion d’Europe sans nationalité. La Belgique met en relief l’absurdité de cette proposition, en faisant constater que la France serait pratiquement représentée par deux athlètes au même concours, contrairement au règlement du concours en question. Un long débat se déroule et pour lui donner une conclusion M. Torti propose de mettre aux voix la question suivante: ‘Étant donné que tous les pays doivent participer à la compétition avec un seul athlète, on demande si le vainqueur du titre de l’année précédente peut être inscrit d’office à la compétition, au cas où son pays ne le désignerait pas comme représentant ou comme adjoint de l’équipe représentée’. Le scrutin donne le résultat suivant ; 4 voix contraires (Allemagne, Angleterre, Autriche, Belgique), 3 voix favorables (France, Hollande, Suisse), 1 abstention (Italie). » Loin d’être écarté, Jean de Herdt a été fortement soutenu par Paul Bonét-Maury. Il est qualifié par la Fédération française dans la catégorie des 4e dan et est sacré champion d’Europe mais sans combattre, faute d’adversaire. Les titres d’hier ne sont pas ceux d’aujourd’hui. Sa disparition du palmarès des championnats internationaux et les raisons de son retrait du monde du judo sont à chercher ailleurs que dans un prétendu complot ourdi par les Japonais avec la complicité des dirigeants français.
A lire les auteurs, on apprend également que Jean de Herdt a « développé le judo cubain; il fut aussi à l’origine de la fédération panaméricaine qui démarrait sur les bases du travail effectué à Cuba ». Que disent les archives ? En avril 1953, dans la revue fédérale, Jean Gailhat rédige un article intitulé « Jean de Herdt à Cuba ». C’est sa deuxième visite. Elle s’étale du 6 mars au 25 mars -la première a eu lieu au début du mois d’avril 1952-. Pour autant, les deux brefs séjours du Français constituent-ils la « base » sur laquelle se sont construits en un si court moment le judo cubain et l’union continentale panaméricaine? L’affirmer, c’est passer sous silence les actions de Mitsuyo Maeda qui introduisit le premier l’art japonais à la Havane dès 1908. C’est ignorer le rôle déterminant d’Andres Kolychkine Thompson, le plus souvent désigné par ses compatriotes comme « le père du judo cubain ». Le judo panaméricain a fait l’objet de plusieurs études historiques de qualité auxquelles il est aisé de se référer. Pour mémoire, les premiers championnats panaméricains ont été organisés en octobre 1952. C’est lors de ce rassemblement officiel que l’Argentine, Cuba, les États-Unis d’Amérique, le Canada et le Brésil fondent la Confédération Panaméricaine de Judo. Prétendre être à l’origine de cette fondation relève d’un opportunisme de circonstance et d’une usurpation niant plus d’un demi-siècle de présence du judo Kodokan sur le continent américain notamment sous l’influence conjointe de la diaspora japonaise, du rôle de l’armée américaine ou encore de l’action de Jigoro Kano lui-même, pour ne citer que quelques uns des moteurs de développement.
La Belgique, la Hollande, l’Algérie, le Maroc et d’autres pays ont accueilli Jean de Herdt à des degrés divers pour des séjours ponctuels parfois réguliers mais toujours limités aux périodes durant lesquelles il était en activité dans le monde du judo. Ceux qui s’intéressent à l’histoire du judo mondial peuvent reconnaître dans ces échanges l’influence du système français sans pour autant négliger l’existence préalable de structures pour la plupart établies avant la seconde guerre mondiale. Il est donc inutile de défaire point par point chacune de ces affirmations. Reconnaissons simplement, une contribution réelle, un rôle de diffuseur du judo français que Jean de Herdt, comme d’autres moins connus, ont rempli durant la période des années 1950. N’ignorons pas pour autant que la démarche du champion français -qui parfois n’a pas manqué de susciter les réactions négatives de l’institution fédérale comme rapporté dans les procès verbaux des comités directeurs de l’époque- relevait pour l’essentiel d’une démarche privée et commerciale.
Un point reste à éclaircir. Quel crédit accorder à l’affirmation selon laquelle Jean de Herdt « organisa et créa aussi la Fédération française de judo, le Collège des ceintures noires et la commission des grades » ? La réponse tient en un seul mot: aucun. L’institutionnalisation du judo français a fait l’objet d’une étude historique attentive et référencée publiée en 2005 aux Presses universitaires de Bordeaux sous le titre, Les Racines du judo français, histoire d’une culture sportive. La création de la section judo-jiujitsu au sein de la Fédération française de lutte résulte de la conjonction d’un contexte politique -le régime de Vichy et la promulgation de la Charte des Sports en décembre 1940- et de la volonté collective des fondateurs du Jiu-Jitsu-Club de France eux-mêmes originaires de la section jiu-jitsu de l’École Spéciale des Travaux Publics de la ville de Paris, à savoir, Moshe Feldenkrais, Paul Bonét-Maury et Mikinosuke Kawaishi.
Le Collège des Ceintures Noires est une société d’experts qui n’a rien d’une originalité française. Le principe est déjà en vigueur au Japon ainsi que dans d’autres pays. Ne pouvant plus assurer seul la nomination des élèves, Kano s’est entouré, dès 1894, d’un groupe d’experts auquel il confie la mission, le Kodokan yudanshakai –yudansha pour désigner ceux qui ont obtenu la ceinture noire, kai pour association-. En Angleterre, le Yudanshakai of Great Britain existe depuis 1934. Lors de son passage à Londres, Kawaishi devient un des membres associés du comité. Le Collège des ceintures noires français est constitué sur le modèle initié par Kano. Ainsi, en 1942, le premier règlement intérieur de la section judo-jiu-jitsu de la FFL précise-t-il que le comité directeur est tenu en ce qui concerne « les questions de technique et d’esprit judo » de demander l’avis du « collège composé des ceintures noires les plus anciennes et chargé de veiller à la conservation de la tradition correcte du judo ». Ce texte atteste de la création d’un collège de ceintures noires en tant que commission dès la création de l’institution fédérale. L’appel lancé par Jean de Herdt, le 9 novembre 1947 n’est, en fait, que l’individualisation d’une structure déjà active au sein de la fédération. Durant l’absence de Kawaishi, Beaujean et de Herdt assurent l’intérim et dirigent le judo français. Cela n’en fait aucunement des fondateurs d’un ensemble qu’ils ont certes aidé à préserver. Leur contribution est bien réelle et Jean de Herdt a incontestablement marqué son époque, en tant que champion mais aussi en tant qu’entrepreneur.
Dès l’immédiat après-guerre, le judo français s’est développé sur une base commerciale. Les premiers professeurs de judo, les ceintures noires nommés par Kawaishi, puis leurs élèves -parfois ceintures vertes- enseignaient contre rémunération adoptant dans la plupart des cas un système de franchise et de rétrocession d’un pourcentage plus ou moins élevé du montant des cotisations durant une période plus ou moins longue. Le Cercle Jean de Herdt qui a comporté jusqu’à près de 50 clubs sur un territoire allant de la France à la Belgique et la Hollande fonctionnait sur ce modèle. Sa contribution au développement du judo intègre d’autres innovations qui méritent d’être signalées. En particulier, la publication de la première revue Judo-Jiu-Jitsu parue en 1948 et 1949 -une revue fédérale prend le relai en 1950-. Les cours par correspondance diffusés par le Dynam-Institut traduisent également la démarche entrepreneuriale autant que la création de camps d’été, une anticipation habile qui associe les judoka français aux grands mouvements migratoires de l’après-guerre qui conduisent toujours plus de vacanciers au bord de la mer et de l’océan. Jean de Herdt est un précurseur lorsqu’il organise des stages d’été à Cavalaire-sur-Mer à partir de 1947. Kawaishi suivra à Biarritz à partir de 1949 puis Awazu et Michigami à Antibes, Cannes, Thonon-les-Bains…
Cependant, de telles actions et un tel engagement de pionnier n’ont nul besoin pour être reconnus de s’accompagner d’un dénigrement systématique de l’entourage et d’un discours proche de la calomnie. « Un jour, je fis comprendre à maître Kawaishi et à mon père, que la fédération était complètement corrompue. Mon père m’expliqua paternellement que le mal venait du fait que la fédération de judo avait été fondée durant la guerre avec des gens biens et des combinards. A cette époque, les gens biens avaient rejoint la Résistance ou se cachaient, leur vie étant menacée, soit étaient prisonniers. La fédération avait finalement ramassé les autres, ceux qui ont des privilèges, des voyous ». Les accusations portées sont nombreuses. Le sujet est grave. Dans quel but ? S’agit-il de donner un beau rôle à Jean de Herdt. Qu’en est-il vraiment ? Reflet de la société française, la communauté des ceintures noires comprenait alors des Résistants mais aussi des collaborateurs dont certains se sont exilés en Argentine, en Afrique du Nord ou dans d’autres pays dès la Libération. Seule l’exhumation des archives de la période de Vichy permettra dans un proche avenir de définir précisément le rôle de certains notamment celui des experts dispensant des cours de jujutsu aux membres de la Milice -dont les démonstrations sont relatées dans des journaux d’extrême droite- ou encore d’identifier les certificats de complaisance délivrés à des Résistants de la dernière heure.
Ce discours revanchard semble n’épargner personne. Mais quel judoka ceinture noire confirmé, cible privilégié du lectorat visé par les auteurs, accorderait-il une foi quelconque à la manière médisante et quasi diffamatoire dont sont présentés Ichiro Abe soupçonné d’activités d’espionnage et Henri Courtine dont les grades obtenus de façon jugée trop précoce seraient liés à la profession de restaurateur de son père ? Que dire de l’impudeur et de l’irrespect manifestés dans des raccourcis inqualifiables exposant la fin de vie de Bernard Pariset et de François Besson? Rien de ceci n’est vrai. Rien de ceci n’est excusable. Un relevé exhaustif des inexactitudes, des erreurs historiques et des mensonges serait trop long et sans intérêt, en particulier car la dernière partie se fait à nouveau l’écho d’inexactitudes maintes fois répétées concernant la prétendue démonstration de Kano à Marseille en 1889, l’invention des ceintures de couleurs par Kawaishi et bien d’autres choses encore. Bien que les auteurs qualifient l’épisode d’anecdote « ayant fait couler beaucoup d’encre chez les mauvaises langues », chacun peut trouver dans les faits divers relatés par les journaux nationaux à l’automne 1961, les raisons qui entraînent l’absence prolongée de Jean de Herdt du monde du judo.
Jean de Herdt a marqué une période courte de l’histoire du judo français. Ces victoires, ses innovations, ses actions en faveur du développement du judo ne sont pas en cause. Il n’y avait nul besoin de le dire autrement ni de masquer certaines réalités en affirmant tant de contre-vérités. Les auteurs ont souhaité en appeler à l’ « esprit de jugement » des lecteurs. C’est dans le débat d’idées et dans l’échange d’arguments que celui-ci s’exprime, non dans la déformation de l’histoire. Car, pour reprendre les propos de Raymond Aron, on ne doit pas « mesurer la responsabilité des personnages à l’aune de leurs intentions ». Laissons donc le dernier mot à Guy Cauquil qui dans une des préfaces écrit: « Qui était Jean de Herdt ? Un aventurier… »
Michel Brousse